IIA Journal

(Intro (chantier)

A Prenzlau (le dernier oflag), ces quelques lignes (écrites en 1943) sur la violence de guerre… à partir de l’expérience que mon grand-père en a : les bombardements.

Note pour les nouveaux lecteurs de ce blog :  les P.G. (prisonniers de guerre)ont passé 5 ans enfermés derrière les barbelés des camps qui leur étaient destinés -et- les bombes alliées ne cessant de s’abattre sur l’Allemagne, on peut le dire, ont vécu une grande partie de la captivité dans « l’ambiance » des bombardements. En tout cas, c’est ce qui ressort de la lecture du journal de mon grand-père. )

Prenzlau…. 90km de Berlin…


1er octobre 1943

« Nous avons eu aujourd’hui trois appels au lieu de deux à la suite de l’évasion de l’un de nos camarades ».


Cette  phrase écrite dans  l’oflag de PRENZLAU est, certes, courte mais pas  anodine du tout…

Ah ! Tout ce que l’on pourrait raconter en matière d’évasion(s) !

Le journal de R. Troye  en relate de ces   tentatives opérées par les compagnons de captivité  !

De 1940 à 1945, certains  P.G. ont fait preuve d’une redoutable imagination pour tenter de fuir… (tunnels sous les latrines, par les égoûts, etc).


 

Journal 21 octobre 1943

« La salle où nous sommes logés est un ancien garage de cinquante mètres sur dix. Il est partagé en chambrelles de six ou sept lits doubles, les lits seuls séparant une chambre de l’autre. L’un des grands côtés est formé d’immenses portes métalliques qu’il faut bien ouvrir malgrè le froid qu’elles nous déversent par mètres cubes. Or le chauffage est presque nul. Le plus curieux est que certains d’entre nous réclament l’ouverture de ces portes pour la nuit. On en est presque venu aux mains pour obtenir qu’on les ferme à dix heures et demi. Les messieurs veulent de l’air. Peu leur chaut que leurs camarades aient froid. Ils veulent de l’air a tout prix. Mais dans le même temps, ils se plaignent que les Allemands ne nous accordent pas assez de chauffage. Inconséquence et illogisme humains ».


28 novembre 1943

 

Cette nuit et cet après-midi sont arrivés à la caserne voisine les réfugiés fuyant Berlin à la suite des récents bombardements. Je n’ai pas pu me défendre d’une certaine émotion devant cette misère humaine. Respect face à la misère quelle qu’elle soit. Mais tout le monde ne pense pas comme moi. C’étaient les nôtres qui fuyaient en 40, bombardés et mitraillés par les avions en même temps que les troupes. Aujourd’hui, ce sont eux. Où cela finira-t-il ? Le monde est-il frappé de folie ? Notre civilisation va-t-elle être engloutie sous les ruines des bombardements ? N’y a-t-il plus place ici que pour la haine ? Faut-il qu’après vingt siècles de Christianisme, les hommes s’entre-déchirent encore ? La guerre est-elle donc une fatalité ? Ne saura-t-on jamais l’éviter ?


 

 


Journal 12 avril 1944

« Charleroi a eu des Pâques sanglantes, nous annonce-t-on. Par deux fois, la gare de triage a été bombardée. L’annonce de cette nouvelle me cause une souffrance intolérable. Je ne puis m’empêcher de penser aux miens, à la terreur qu’ils ont dû ressentir, aux dangers qu’ils ont dû courir. Mon Dieu, en avez-vous pitié ? Quelque infernal bolide n’est-il pas venu s’égarer sur notre maison ? Et dire que je dois attendre quinze jours, davantage peut-être, avant que ces angoissantes questions me soient connues ? comment vivre jusque là ? En oubliant, il n’y a pas d’autre moyen. En éteignant la flamme dévorante de ma pensée anxieuse ».


Journal 18 avril 1944

« Lettre (…). Tous sains et saufs. Bombe tombée près de la maison, mais elle n’a pas éclaté. Journaux montrent la place du centre (…) 180 morts et 200 blessés pour les trois bombardements de Charleroi ».


 Journal 19 avril 1944

« Hier, nouveau bombardement de Charleroi. Nouvelle angoisse pour les miens. Et pour moi. O guerre, comme je te maudis ».


3 mai 1944

Emission vue sur Arte  (sources ?)

L’émission d’hier fut insoutenable. Difficile d’enchaîner… J’ai suivi avec attention le documentaire qui a suivi après sur Arte « Il faudra raconter » : le nazisme fut un système de déshumanisation totale qui ne fit pas la guerre à un groupe précis de personnes (même si certains groupes se retrouvèrent en première ligne de la haine) : il fit la guerre à l’Humanité. Et c’est jusqu’à la fin de l’histoire du monde « qu’il faudra raconter » !

Au mois de mai 1944, dans le fin fond de son oflag, mon grand-père qui ne connaît rien de l’existence de ces « autres camps » écrivit quelques lignes au sujet de la barbarie humaine…

Pour comprendre le texte, il faut savoir qu’il a été invité à tenir une petite conférence sur Baudelaire. Imprégné par l’étude du poète, il s’exprime -en effet- de manière  « baudelairienne »…

Pour comprendre le texte, il faut se rappeler que depuis 1943, officiers de réserve (cadres civils avant la guerre) et officiers de l’active (militaires de carrière) sont séparés. A Prenzlau, les jeunes lieutenants sont sous la surveillance des « chefs » (généraux et toute la clique) et ça ne rigole pas…

Extrait journal : 3 mai 1944 

« Cette guerre est plus barbare que toutes les précédentes parce qu’elle tue les femmes, les enfants et les vieillards sur une échelle inconnue jusqu’ici. Mais où commence la barbarie ? N’est-elle pas en veilleuse dans le coeur de chacun de nous ? Et ne suffit-il pas d’un léger souffle pour la rallumer ? L’homme est un monstre. Et la civilisation, comme l’a dit Baudelaire, réside dans la diminution des traces du péché originel. Mais la chute d’Adam nous a marqués comme au fer rouge : les cicatrices de notre âme ne s’effaceront sans doute jamais. Plus j’avance et plus je vois que faire le mal est pour l’homme une volupté près de laquelle le bien n’est qu’une pâle caricature. C’est depuis la guerre surtout que je remarque cet état des choses. Un tel m’a fait du mal. Donc, j’ai le droit de me venger. Voilà ce qu’on entend à tout propos, même par ceux qui s’agenouillent tous les matins au banc de communion. Mais que deviennent les préceptes de Notre Seigneur Jésus Christ ? Etre chrétien consiste-t-il à lire des formules latines et à recevoir la Sainte Hostie avec des mains hypocrites ? ».


Journal 3 octobre 1944

 » Le Lieutenant R.Troye a l’honneur de vous inviter à la présentation de son roman  » Badilon Dubonnard  » (*) qui sera faite le jeudi 5 octobre à 14 heures au mess II. Introduction par le général Michiels. Lectures par A.Dohet et L.Moreau « .


Journal 13 octobre 1944

La présentation de mon roman a été un succès. Salle archicomble. Beaucoup de félicitations. Quelques critiques justifiées pour la plupart.

(*) Ce roman fut renommé par la suite : « Le pharmacien de Chantenelle » édité en 1947 chez les Editions Atalante.


 

Le terrible mois d’avril 1945 et l’anéantissement de Berlin.

10 avril 45

« Depuis un mois, nous connaissons la faim (…) ». « Des disputes éclataient dans la chambre à l’occasion des partages (… )».

13 avril 45

« (…) Est-ce la fin du monde ? La terre est-elle sortie de son orbite ? Va-t-elle s’émietter comme une simple masse ? (…)

« (…) Ce matin, dès 6 heures, on sut que deux bombes étaient tombées sur le bloc B et qu’il y avait plusieurs tués et blessés (…).

« (…) La mort de Vincent m’a peiné au-delà de toute imagination(…) ».

19 avril

« La peur, la grande peur sévit (…) ».

24 avril 1945

« 16h : Ordre de départ du camp par la route.

18h : Bombardement de Prenzlau ».

Pourquoi ne pas reproduire, ici, maintenant, l’intégralité, de ces « extraordinaires » pages ? Besoin peut-être de rentrer en « douceur » dans la thématique, de connaître davantage le sujet, de digérer le fait que vivre tout cela a été terrifiant… Posséder de telles pages, ça se mérite aussi…